Dans l’ombre des fantômes d’Ayesha Hameed et Hamedine Kane (Royaume-Uni, 2018, 13 min.)
Le film est composé de notes sur un film à réaliser et d’un essai à écrire. Le 29 avril 2006, un bateau a été repéré au large de la côte sud-est de la Barbade. À bord, onze corps ont été retrouvés par les gardes-côtes, conservés et séchés au soleil. Le navire fantôme a dérivé pendant quatre mois sur l’océan Atlantique. Il est parti de Praia sur les îles du Cap-Vert, le jour de Noël, rempli de migrants du Sénégal, de Guinée-Bissau et de Gambie en route pour les îles Canaries. Chacun de ces hommes a payé £ 890 pour leur place sur le bateau.
Le récit repose sur des matériaux et des outils disponibles pour donner un sens à la complicité des conditions météorologiques, des courants océaniques et de la violence d’État lors du voyage du navire. Le décalage entre le film et la forme teste la capacité à mesurer les récits et les affects liés au passage, le langage permettant de mettre en évidence la matérialité de la mer et l’horreur incommensurable contenue dans la figure du navire fantôme. La construction narrative du film et son imagination reposent sur deux familles d’images. La première famille d’images s’articule autour du monde de la mer, des mythes sur l’eau entre l’Afrique, les Caraïbes et l’Europe. Tout en formulant une critique et une déconstruction des déséquilibres pouvant exister dans les économies et les politiques étatiques qui régissent cet habitat naturel.
La deuxième famille d’images est une tentative de dialogue entre le promeneur et son ombre. Il n’est pas facile d’imaginer le temps passé par le migrant à marcher, seul dans le désert et ensuite dans les villes pour ceux qui arrivent à destination… La solitude du promeneur face à ou avec son ombre, le dialogue entre le promeneur et son ombre sont des moments uniques et intimes. Des moments rares, même précieux, face au choix. Si bien qu’il est probablement inutile et vain de le raconter dans une histoire quelconque. C’est là que l’on se lance dans notre imaginaire collectif.
Ayesha Hameed (Royaume-Uni) est une artiste qui utilise la performance, l’audio, la vidéo et l’écriture pour explorer les frontières et les migrations contemporaines, la théorie de la race critique et les cultures visuelles de l’Atlantique noir. Elle est actuellement co-responsable du programme de doctorat en cultures visuelles à Goldsmiths College, Université de Londres. Son travail a été présenté à SALT Istanbul, Nottingham Contemporary, Akademie Schloss Solitude, Mosaic Rooms, RAW Material Dakar, Arts Catalyst, Camden Arts Centre, La Colonie Paris, The Slade, Fondation Delfina et Spike Island. Parmi ses expositions figurent les biennales de Göteborg 2019 et 2021, la biennale de Dakar 2018, The Showroom 2018, Konsthall C 2018, Forensic Architecture au MACBA Barcelona et MUAC Mexico City 2017. Ses publications incluent Futures and Fictions (co-édité avec Simon O’Sullivan et Henriette Gunkel Repeater 2017), Visual Cultures And Time Travel (avec Henriette Gunkel Sternberg, à paraître). Elle a également contribué à Forensis (Sternberg Press 2014), Unsound/Undead (Urbanomic 2019).
Hamedine Kane est un artiste et réalisateur sénégalais et mauritanien. Il vit et travaille à Bruxelles et à Dakar. Au cours des deux dernières années, ses travaux ont porté sur les sujets de l’exil et de l’errance. Sa pratique artistique évolue en fonction du contexte dans lequel son travail se situe, l’amenant à porter un regard plus aigu sur les espaces publics et à les considérer comme des lieux d’interaction et de rencontre. Cette année, il entame une nouvelle série sur le patrimoine, la mémoire et la conscience découlant de l’expérience politique de certains pays africains après l’indépendance, intitulée « Le devenir révolutionnaire permanent ». S’interrogeant sur cette période récente de l’histoire de l’Afrique, en particulier du Sénégal, il se mit, après dix ans d’exil en Europe, à effectuer des voyages de plus en plus fréquents au Sénégal. Cette approche implique de porter un regard sur des sujets assez spécifiques, tels que l’architecture, l’histoire, la géographie, l’urbanité et, à partir de là, de créer des liens vers une approche plus inclusive. Ainsi, il commence à s’intéresser à l’école Ponty de Sébikotane, entre les régions de Thiès et de Dakar, dans la mesure où l’existence de cette institution, de 1855 à nos jours, témoigne des aspirations et des bouleversements qu’a connus le Sénégal depuis le dernier siècle et cristallise les opinions autour des notions d’afro-utopie et d’afro-nostalgie. Dans le même ordre d’idées, Kane s’intéresse également à l’influence que la littérature africaine, afro-américaine et afro-diasporique et ses auteurs peuvent avoir sur les engagements politiques et sociaux actuels en matière d’environnement.
Les dernières œuvres de Kane ont été exposées à la dernière Biennale Dak’art sous la direction de Simon Njiami, à la foire 1:54 Contemporary African Art Fair de Londres en 2017 et à la documenta 14 (« Every Time A Ear Di Sound » organisé par Bonaventure Soh Bejeng Ndikung, Elena Agudio et Marcus Gammel). En 2018, son travail a fait l’objet d’une exposition personnelle à Clark House Initiative à Mumbai, à la demande de Sumesh Sharma, avec lequel il a poursuivi sa collaboration au Showroom de Londres. En 2018, Kane a également exposé à la FIAC et à la Colonie barée à Paris. En 2019, il participera à la Triennale d’architecture d’Oslo, à la Biennale Guetto de Port-au-Prince à Hatiti et au Parcours8 à Dakar.
Avec l’aide et le soutien de Raw Material Company, The Showroom et Marie-Helene Periera. Produit par Clark House Initiative, Bombay. Financé par la Foundation For Art Initiatives, Judith Blum & Krishna Reddy Foundation